Sur "Un empire bon marché"
Un empire bon marché de Denis Cogneau, s’attaque comme l’indique clairement son sous-titre à l’histoire et à l’économie politique de la colonisation française, du XIXe au XXIe siècle. Les dernières scories bien refroidies du projet colonial et de la “mission civilisatrice de la France”, recyclé dans le concept de Françafrique, disparaissent. Et bien que ma famille ait été partie prenante de cette histoire avec notamment un grand-père combattant d’Indochine, puis chargé du démantèlement des batteries côtières de l’AOF/AEF aux indépendance, je ne connaissais pas vraiment l’histoire de la colonisation ni surtout son impact.
Le livre de D.Cogneau offre un panorama complet de cette “deuxième colonisation” qui constitue pour les gouvernants français, tout au long du XIXème siècle et ce qu’ils soient monarchistes ou républicains, une tentative de retrouver ou conserver à la France son rang dans le “concert des nations” et une conséquence de la compétition avec l’Angleterre, l’Allemagne, ou les États-Unis.
Plutôt qu’un résumé et une analyse du livre, je me contenterai ici d’énumérer quelques points intéressants glanés au fil de la lecture:
- l’Algérie constitue à la fois la matrice du projet colonisateur de la France du XIXème siècle, Charles X puis Louis-Philippe l’utilisant pour réaffirmer la puissance française après la débâcle de Napoléon, et un cas particulier puisque seul pays conquis visé par la colonisation de peuplement. Dans tous les pays, la colonisation est un processus violent et conduit à des massacres de civils, des famines, des déplacements de population, des confiscations massives de terres et de biens, etc.
- le Second empire de Napoléon III, en plein essor économique et surtout préoccupé de prestige, n’est pas favorable aux colonies de peuplement et favorise plutôt des pouvoirs locaux accomodants et un contrôle militaire laissant une marge de maneuvre aux autochtones dans leurs affaires intérieures, ce qui en Algérie fait basculer les colons dans le camp républicain. C’est la troisième république qui accélère la colonisation, étendant l’empire au Tonkin, Annam, à Madasgacar, en Afrique subsaharienne, et favorisant les colons en Algérie en accordant la citoyenneté aux européens d’origine, et bien sûr aux juifs. Durant toute la colonisation, le “parti colonial” peu nombreux mais très organisé saura user de ses relais en métropole pour contrer ou vider de leur substance toutes les tentatives de rééquilibrer le pouvoir local en faveur des autochtones, par exemple lors du Front populaire ;
- sur le plan économique, la colonisation et les colonies ne pèsent jamais lourd, ni dans le sens du coût pour la métropole, ni celui des bénéfices tirés de la prédation des ressources et du travail des “indigènes”. La balance des paiements des colonies est, sur le long terme, légèrement négative c’est à dire qu’il sort un peu plus de ressources qu’il n’en rentre, mais in fine ce sont les impôts et tributs prélevés sur place, le travail forcé ou les corvées, le commerce des matières premières produites ou extraites dans le pays, qui payent pour les frais de la colonisation (salaires des fonctionnaires et coûts administratifs et militaires). Seule exception : les après-guerres où les colonies, du fait des destructions en métropole, pèsent plus lourd ;
- si elles voient naître quelques fortunes, quelques réussites commerciales (CFAO, SCOA), et quelques succès dans le développement de niches économiques par exemple de l’arachide en AOF, les colonies sont aussi le théâtre de nombreux échecs (coton, canne à sucre), de faillites, et même de pures et simples escroqueries favorisées par la distance et le mirage colonial entretenu en métropole par le susdit parti colonial. Peu de colons s’enrichissent, le niveau de vie en Algérie sera toujours inférieur à celui de la métropole par exemple, et si les fonctionnaires détachés dans les colonies vivent bien c’est parce que la république est généreuse pour attirer des candidats ;
- et de manière générale, les milieux économiques en métropole ne se sont guère précipités pour investir dans les colonies tant les perspectives de profits étaient meilleures en métropole ;
- les gouvernements successifs, même quand ils sont de bonne volonté et sincèrement préoccupés d’améliorer le sort des colonisés et de développer les colonies, ont toujours fait trop peu trop tard : quand les élites locales ont revendiqué des droits égaux et milité pour devenir citoyens, notamment après la première guerre mondiale et le tribut massif payé par les troupes coloniales, les concessions ont été minimes. Petit à petit, les groupes et partis militant pour l’égalité des droits et la suppression de l’indigénat, se sont radicalisés et ont milité pour l’autonomie, puis l’indépendance ; et quand la république au sortir de la seconde guerre mondiale a progressé vers une égalité réelle notamment par la représentation à l’assemblée nationale des colonies, que des plans de développement ont été sérieusement mis en oeuvre il était trop tard : le “moment colonial” était passé et les peuples n’aspiraient plus qu’à l’indépendance.
Le tableau peint D.Cogneau montre que la colonisation fût une entreprise économiquement, politiquement et militairement sans grand bénéfice pour le colonisateur, mais aux effets profondément négatifs sur les colonisés. La fameuse mission civilisatrice n’aura été que le cache-sexe d’un désir de revanche alimenté par la nostalgie de la “grandeur de la France” et les défaites.