Sur "Phénoménologie de la perception"

Posted on November 20, 2018

Sur l’empirisme

“On ne peut pas réfuter une pensée qui s’ignore elle même.” L’empirisme ignore l’expérience, soit la rencontre entre un sujet et le monde. Les constructions théoriques seront toujours plus réels car plus “dures”, plus précises que ce dont l’expérience peut rendre compte. L’objectivation est irréfutable car elle supprime la conscience du sujet ou bien plutôt sa relation au monde, et réciproquement la relation que le monde entretient avec le sujet, l’inclusion de celui-ci dans celui-là. L’inévitable conséquence en est le dualisme.

Sur l’intellectualisme

La réflexion manque de se réfléchir elle même et rend implicite l’existence du sujet connaissant et la possibilité théorique de tout connaître. Elle manque ainsi le phénomène de la pensée elle même dans son analyse des conditions de possibilité de la connaissance. “Que puis-je connaître ?” présuppose qu’il y a quelque chose à connaître par un sujet connaissant, mais ignore complètement la situation concrète de ce sujet. Toute réflexion est absolue, détachée du corps, de l’espace et du temps, détachée des autres.

Primat de la vision

L’objet est saisi en tant qu’objet parce qu’il s’inscrit sur un horizon et qu’avec moi d’autres objets le “regardent”. Je peux saisir l’objet dans sa profondeur grâce aux autres objets, en construisant les relations qu’ils entretiennent les uns avec les autres, en me mettant à leur place, adoptant un point de vue multiple.

Relation du corps au monde

Le corps n’est pas dans l’espace et le temps, il les habite et il leur donne forme. C’est parce que nous avons un corps qu’il y a un espace-temps à explorer pour nous. L’étude des conséquences de lésions nerveuses et maladies dégéneratives montre - par contraste - qu’en l’état dit “normal” nous n’avons pas connaissance du monde, nous n’avons pas à l’objectifier pour agir et se mouvoir : le monde est ce qui est là pour nous, à notre portée. Quand je bouge mon bras pour prendre un objet je ne planifie pas mon acte avant de l’accomplir, ce que doit faire un malade. Le corps est porteur de sens, ou plutôt il est le moyen pour nous de signifier, de donner sens aux choses du monde en nous mettant en relation avec elles.

Le corps comme oeuvre d’art

Comme le corps, l’oeuvre d’art est individualité, à la fois expression et exprimé. Les sens sont fondamentalement unis dans l’appréhension du corps. Je ne suis pas dans mon corps, je suis mon corps.

Mimer un état pour le faire advenir

Quand je veux m’endormir, je mime l’état du sommeil, calme et paisible, et c’est mon corps qui répond à cette imitation en s’endormant “réellement”. Similairement la croyance est la conséquence de la pratique religieuse et non sa cause : je crois parce que j’accomplis régulièrement des rituels prescrits.

Impossibilité de l’existence pure

Parce que j’ai un corps sensible, je suis ouvert au monde et il est impossible de supprimer toute intention. Vivre n’est pas seulement exister mais aussi percevoir, répondre à la proposition du corps d’entrer en relation avec le monde, en quelque sorte de le créer. Cela invalide toute possibilité d’une méditation pure.

Sur la parole

L’empirisme conçoit le langage comme suite de traces, d’images verbales, déclenchées par des stimuli sonores ou visuels. L’intellectualisme le conçoit comme manifestation de la pensée. “Dans la première conception, il n’y a personne qui parle, dans la seconde il y a un sujet mais un sujet pensant.” Le mot seul, isolé, en lui-même n’a pas de sens, mais les mots prononcés ont un sens : la pensée tend vers son expression verbale et reste confuse, ignorante d’elle-même tant qu’elle n’est pas formulée dans des mots. Nommer fait exister les choses pour nous.

Perception et corps propre

La continuité du monde et de ma perception de celui-ci est une conséquence de de l’identité du corps propre au cours du mouvement : je perçois continûment parce que je suis continûment au travers de mon corps : je n’ai pas besoin de voir explicitement l’arrière d’un cube pour le poser, mon corps me permettrait de tourner autour et de de faire l’expérience du géometral du cube qui découle donc de cette identité.

Langage et monde conventionnel

Comme le geste nous relie au monde physique et nous permet de communiquer à propos de lui, de le partager avec d’autres, la parole nous relie au monde social et conventionnel, symbolique, nous permet de le partager avec d’autres au moyen de gestes linguistiques. Le signe, la parole, le langage ne sont pas arbitraires au sens de “Construits ex nihilo”, ils doivent être ce qu’ils sont en vertu de leur histoire, de contraintes physiques, d’influences, pour permettre de communiquer dans un certain cercle.

Unité de la perception

Lorsque nous percevons le monde autour de nous, nos sens sont utilisés simultanément et communiquent les uns avec les autres. Ce n’est que lorsque nous nous concentrons sur telle ou telle partie, lorsque nous analysons tel objet que ceux-ci acquièrent certaines qualités propres à tel ou tel sens. Les sons ont une résonnance visuelle ou tactile, les images et couleurs suscitent des émotions et sensations corporelles.

Unité perceptive de la chose

“un tableau contient enn lui-même jusqu’à l’odeur du paysage” c’est à dire que toute perception d’une chose est association, les qualités sonores, visuelles, olfactives, tactiles accompagnent la vision, le toucher ou l’ouïe. L’acuité de l’expérience fait l’acuité des sens. Donc voir une chose est le signe de toute ses qualités : voir du feu nous “donne” sa chaleur, son crépitement…

Le sens est chargé de prédicats anthropologiques

Parce que les choses existent pour nous, au travers de notre expérience, celle-ci et notre manière de la décrire, donc notre langage, sont chargés de notre situation dans le monde, des contraintes et caractéristiques de notre corps. C’est exactement ce que décrivent Lakoff et Johnson dans leur analyses des métaphores dont notre langage est saturé : c’est parce que nous existons et vivons que ces métaphores sont universellement présentes.

Contiuité et inépuisabilité du monde

Je n’ai pas une succession discontinue de points de vues, de perspectives, quand je perçois mais une interaction continue avec les choses et les paysages. Je ne pense pas chaque image mais chaque instant glisse dans l’autre. Modéliser la perception comme un processus discret, une succession d’images ou de sensations est incorrect. L’effort et la concentration produisent des jugements d’identités d’une chose, d’une succession de ses états, parce que prélevés sur un fond continu.

Le monde n’est pas la somme des choses mais ce dont les choses proviennent, un “réservoir infini de choses”.

Hallucinations, perceptions et rêves

La perception est très différente de l’hallucination car le monde y est tout entier engagé et les malades qui souffrent de visions sont parfaitement capables de faire la différence entre celles-ci et des objets réels. L’hallucination est entièrement projection de l’esprit, et pourtant elle impressionne, elle produit un effet sur le malade quand bien même celui-ci sait qu’elle n’est pas réelle. Et quid du rêve dont je ne peux faire la différence d’avec une perception quand je le vis ?

C’est parce que le rêve, comme l’hallucination et comme la perception se déroule avant toute opération intellectuelle, dans cette relation au monde réel qui nous implique tout entier et qui est notre corps, avant tout jugement prédicatif.

Le perçu, le rêvé, l’halluciné demeure en deça du doute et de la démonstration

Il n’y a pas d’erreur possible là où il n’y a pas de vérité possible : le perçu est pour nous avant toute pensée.

Temporalité

Quand je pense, je réfléchis sur moi, mes pensées passées, je suis déjà dans le futur et je ne peux qu’utiliser des souvenirs, des témoignages incertains. Dans toute réflexion s’insère le temps, dont l’épaisseur introduit du doute et de l’ambiguïté.

Sur la possibilité et le sens du cogito

Je ne peux pas objectiver mes pensées : chaque pensée, le fait même de penser est un processus dont je ne peux vraiment garder la trace entièrement que dans la mémoire qui est elle même un processus. Réfléchir c’est donc toujours reprendre la pensés, la réactualiser à partir de bribes de souvenirs et d’autres pensées qui deviennent les objets du processus mais sont soumis à la même loi. La pensée n’est donc pas Essence mais Existence et le Je suis du cogito doit être entendu comme un J’existe. Mais il n’y a pas de relation de cause à conséquence entre les deux termes : ce n’est pas la pensée qui fait l’existence, ni l’existence qui fait la pensée.

Vrai et faux sentiment

Ce qui distingue le sentiment vrai du sentiment faux ou ambigu, de la fausse conscience c’est l’action. Le sentiment vrai est vrai parce que mon existence y est toute entière engagée, parce que je fais vivre ce sentiment dans mes actes. Être amoureux c’est agir avec amour envers l’être aimé, c’est vivre le sentiment de l’amour dans chaque moment de l’existence, être courageux c’est vivre avec courage et affronter le danger.

Quand je m’engage dans le doute je fais cesser tout doute méta, toute régression à l’infini sur le doute de la réalité de ce que je ressens.

Sujet + objet = présence

Les choses n’ont un sens pour nous que parce que nous sommes dans une relation de présence à elles. Le sens suppose une position, une polarité donc un sujet qui crée les faits, les choses, le temps les phénomènes dans un certain sens. Le corps objectif, le monde objectif de la science n’est pas la vérité du corps phénoménal ou du monde phénoménal mais en est une image appauvrie, une représentation.

La liberté comme être au monde

La liberté n’est pas l’infini des choix qu’une conscience isolée ferait, pure subjectivité, ou illusion totale déterminée par le monde. “Nous choisissons le monde comme lui nous choisit” il n’y a pas de liberté absolue car j’agis toujours en fonction d’une situation que m’offre le monde, mais il n’y a jamais absence de liberté car j’existe au mondne et agit sur lui.